Lever le voile sur les levures mystérieuses
Partout sur notre planète, la fermentation, c'est la vie.
En 1992, Bertand Hell m'envoie ce qui est toujours mon livre de chevet, Le Ferment Divin. Ancien professeur d'ethnologie à l'université de Franche-Comté, Bertand Hell est l'un des auteurs de cet ouvrage collectif et auteur lui-même du livre « L'homme et la bière », réédité en 2015 sous le titre « Bière et Alchimie ».
Les fermentations, des boissons et de leurs symboliques dans les différentes cultures me fascinent depuis toujours. Quand bien même, depuis la création de ma revue Mordu de la Terre à la Table, au coeur des fermentations, j'entends cette phrase « ah oui ! la fermentation c'est tendance ».
Oui, je me réjouis qu'enfin les boissons fermentées, à commencer par la bière, et toutes les techniques de fermentations deviennent des sujets de curiosité, d'apprentissage et de lecture.
Oui, je me réjouis que les questions sur les levures, les levains, les cultures ancestrales sur toute la planète arrivent de plus en plus dans les conversations.
Et j'ai envie de dire : il était temps !
Le Ferment Divin
Dans ce livre, il est question de la bière dans ses dimensions ethnologiques, historiques, mythologiques. Il est question de chaudrons d'abondance, d'immortalité et de cycles de la nature, de l'orge et de la bière. Il est question d'alchimie, et de fermentation, le sujet clé de ma vie.
Renaissance et purification sont les deux mamelles de la fermentation, comme dirait Boby Lapointe...Vous me connaissez, vous savez que j'adore Boby Lapointe !
La fermentation, c'est la vie
Il y est aussi question du « liquide qui ne fermente pas », de l'évidence « qu'aucun process de fermentation, ( ou de putréfaction, ou de décomposition, et plus généralement, aucun métabolisme biochimique) ne peut se déclencher en l'absence d'eau. L'eau est ici définie comme " le liquide sans lequel aucune fermentation n"est possible ».
Ce livre est un itinéraire sans fin dans les forces des ferments, de l'Inde ancienne à la Bible, de l'Occident médiéval au Mexique, de la Mésopotamie à Rome. Un livre sans fin.
Des levures sauvages de l'atmosphère aux levures domestiquées
L'autre jour, devant un groupe d'amateurs non connaisseurs, je réponds aux questions sur la fermentation. C'est quoi les levures? C'est quoi une Lager? C'est quoi une Ale?
Et finalement, mais c'est quoi des levures sauvages ?
Quand on travaille dans l'univers de la bière, on a tendance à penser que tout le monde sait ce que cela signifie. En réalité, pas du tout, et c'est là que l'éducation et la transmission dont j'ai fait métier prennent tout leur sens.
Expliquer le pouvoir des levures, l'ensemencement des brassins, le refroidissement du moût pendant la nuit l'hiver dans les brasseries de Lambics.
Parler des expérimentations des brasseurs d'aujourd'hui sur les levures indigènes, le travail avec les raisins, les moûts de raisins, les marcs de raisins, les fruits, les fleurs...
Et relire cette phrase « À partir du XVIII ième siècle, l'emploi de la levure prélevée sur le brassin précédent se généralisa et donna naissance aux cultures de levure spécifique propres à chaque brasserie... Les pratiques brassicoles antérieures qui privilégient la fermentation spontanée, livrent, elles, la nature des levures originelles ».
Remettre le kveik au milieu du village
Parmi les levures ancestrales disponibles en levure commerciale, figure la levure Kveik. Que les nouveaux brasseurs utilisent pour apporter à leurs bières des notes typiques d’écorce d'orange à leurs bières. J'en profite pour préciser que le mot « kveik » ne désigne pas un style.... Il s'agit bien d'une levure ! Souvent déclinée sous forme d'IPA, mais c'est une tendance, les autres styles vont arriver certainement !
Cet engouement me donne envie de revenir aux sources de l'histoire de cette levure. Une histoire racontée par Martin Thibault.
Tout commence avec son voyage en 2014 avec Lars Marius Garshol à l'ouest de la Norvège, dans la région lacustre de Voss ( d'où le nom de la levure commercialisée sous ce nom ). Des journées passées avec Sigmund Gjaernes, leur hôte brasseur traditionnel, des infusions de genévrier, des brassages avec infusions de genévrier, des trempages dans le moût de l'anneau en bois sur lequel la fameuse levure kveik a séché. Cette bière s'appelle Vossaøl.
Martin Thibault en parle notamment dans son livre « Le goût de la bière fermière ». Tout comme il parle des Sahtis finlandaises, des Keptinis de Lituanie ou d’autres cultures brassicoles fermières.
Retrouvez Martin Thibault dans chaque numéro de Mordu de la Terre à la Table, dans sa rubrique « Brassages & Voyages », il vous emmène là où sa curiosité de globe trotter de la bière le pousse.
Une levure indigène au pays de la Fleur Jaune
L'histoire fait rêver, elle se passe à la Réunion, avec les amis de la Brasserie Les Dalons.
Produire la bière la plus locale possible avec une souche endémique de levure.
À la Réunion, les Dalons, ( les amis) veulent faire la bière la plus locale possible.
Plusieurs essais de prélèvements sont réalisés à la Plaine des Cafres : sur du mimosa ( acacia nimmé plus blanc ), sur des fleurs du fruit de la passion, et des fleurs jaunes des Hauts.Les levures prélevées sur la Fleur Jaune sont identifiées : ce sont des saccharomyces cerevisiae !
La suite se déroule dans le labo, le domaine de Nikolaï Tugarin. Il les purifie, les isole, les propage. Au bout de plusieurs semaines et mois en bouteilles, la levure est toujours bonne.
La première bière réalisée avec une levure endémique propre à la Réunion est née.
Et vous savez quoi?
Cette nouvelle levure, directement issue de la nature réunionnaise, prélevée sur la Fleur Jaune endémique de l’île est bientôt disponible : elle appelle « Levure Fleur Jaune », elle est proposée en version liquide grâce au partenariat avec WHC Lab Dublin.
Un véritable tournant pour le monde brassicole !
L'histoire de la fermentation s'écrit chaque jour. A tous les temps du passé, du présent, du futur.